Ali Kahina chante l'amour et la colère
Bien avant de savoir qu'il composait ses propres chansons, nous
connaissions déjà Ali Kahina. Plus
d'une fois, nous avions eu l'occasion
de le saluer place du Calvaire, à
Elbeuf, là où se tient le restaurant
rapide qu'il a ouvert il y a quelques
années, après son retour d'Algérie.
Les amateurs de kebab s'y rendent
sans se faire prier, car l'accueil de la
maison est toujours spontané et
l'on est copieusement servi. Pourtant, si Ali peut finalement être
assez fier de son parcours, de son
« intégration » comme disent nos
maîtres à penser, on ne peut pas dire
que le destin l'ait gâté dès le départ.
Amoureux de la France, il a connu
le sort des fils et des filles de harkis,
que l'Algérie a rejeté comme autant
de « parias » et qui se sentent floués
par leur terre d'adoption, la patrie
des droits de l'homme. Ali raconte
l'humiliation qu'il a vécue : « C'était
le 25 ou le 26 août 1966. On nous
avait promis un logement à Marseille. On est venu nous arracher de la
résidence Sonacotra de Saint-Aubin-lès-Elbeuf et c'est dans des cars de police qu'on nous a transportés à la gare
de Lyon. Mon père menotté, ma mère
enceinte, mes trois sœurs aînées et
moi. Un voyage sous escorte jusqu'à
Marseille, où on nous a mis dans un
bateau, direction Alger ». Tel fut le
sort peu ordinaire de la famille Athmani, expulsée alors même qu'elle ne demandait qu'à continuer à vivre en France. Son père, qui ressentait un profond sentiment d'injustice, se sentit ainsi rejeté de part et d'autre de la Méditerranée et Ali porte en lui une blessure qui ne s'éteindra sans doute jamais, même s'il a pu, entre-temps, survivre à toutes ces vicissitudes. Quand il partit pour l'Algérie, il croyait partir en vacances...
L'exil et le retour
Ayant connu l'exil et des conditions de vie déplorables dans la région de T'kout, près de Batna, Ali n'a pas bénéficié d'une scolarité normale. Elle fut d'ailleurs de courte durée. Quatre ans, c'est tout. Mais doté d'une vive intelligence, il a vite compris qu'il devait surtout compter sur lui-même. Une leçon que bien des nantis trouveraient profit à méditer. À son retour en Algérie, le père d'Ali fut considéré comme un traître. Ayant servi de « supplétif » dans l'armée française, il subit avec sa famille des brimades en tout genre, vivant tout près de l'extrême misère. Ali avoue avoir dérobé quelques figues dans les champs
. pour pouvoir nourrir sa famille. Deux de ses soeurs périrent de maladie et de carences alimentaires. Elles étaient âgées de 8 mois et 2 ans et demi. Comme son père, il a dû accepter des tâches humiliantes pour vivre, cassant des cailloux et
craignant sans cesse les
mauvais traitements. Une
fois rentré en France, en
1989, il voulut déjà se lancer
dans la chanson. Mais il
devait encore attendre. À 12
ou 13 ans, Ali s'était confectionné une guitare improvisée.
C'était au début des années
soixante-dix. Il obtenait un son
un peu touareg, avec des vibrations magiques. Peu à peu les gens
commencèrent à s'intéresser au
garçon. À l'époque, Enrico Macias
était son idole. Aujourd'hui, père de
cinq enfants, Ali, qui a un peu de
mal à trouver son identité (sans
doute multiple), réalise enfin son
vieux rêve et entend bien se faire
accepter comme artiste. La popularité qu'il s'était acquise en Algérie
n'était sans doute pas usurpée, d'autant qu'il travaillait dans un climat
particulier, circulant notamment
grâce à une fausse carte d'ingénieur
en agronomie.
En 1986, il sortit un premier
album dont les
droits sont d'ailleurs
protégés. Il fut même éditeur de musique pendant trois ans,
jusqu'au moment de son retour en
métropole. Par son style et sa liberté, Ali « dérangeait l'intégrisme ».
Celui qui à 13 ans gagnait cinq
dinars (au temps où un vélo en valait cent
quatre-vingts), l'adolescent portant
des sacs de 50 kg vit aujourd'hui
pour la musique et la chanson. En
Algérie, le fait d'aller d'une ville à
l'autre lui collait la peur au ventre. Il
prend sa revanche aujourd'hui en
pensant à son père, mort à l'âge de
49 ans. « Les excuses, j'en ai ras le
bol ! ». Amoureux de la solitude, mais
sachant partager avec l'autre, quelle que soit son origine, Ali a pour
nous un message d'amour et de
colère. Sa musique épouse le style
« Shaoui » tout en contenant des éléments issus d'autres cultures, comme le country ou le reggae. « On est
en colère et on sait pas quoi faire/Ils
ont ruiné nos parents pendant la
guerre » mais « Depuis mon enfance,
je vois que la France, la France/C'est
elle ma vie et c'est elle ma chance...».
On peut dire des choses graves en
gardant le sourire. Croire en l'amour,
tout en chantant ce qui l'entrave.
« Celui qui a vu la mort accepte la
fièvre » disait à Ali son cher père. Il
peut maintenant dormir en paix.
Luis Porquet
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